Rencontres New Deal : la FEVIS réinvente la stratégie du bernard l’hermite

Le 16 novembre dernier, à l’initiative de, la Fédération des Ensembles Vocaux et Instrumentaux Spécialisés  (FEVIS) s’est tenue la 5ème édition de « New Deal », rencontres professionnelles de la Musique, qui, COVID oblige, se sont déroulées sous la forme d’une diffusion de débats en ligne.

À vrai dire, à l’écoute de ces tables rondes, on ne pouvait pas véritablement parler de débats : aucun contradicteur, aucun représentant des organisations syndicales d’artistes, juste des personnalités bien décidées à faire l’apologie d’un modèle d’entreprises artistiques fondé sur l’emploi précaire pour les artistes et une supposée indépendance.

Cette opération d’auto-promotion, habituelle en ce genre de manifestation, n’aurait pas attiré notre attention, si, au cours d’une des tables rondes, Sylviane Tarsot-Gillery, la Directrice Générale de la Création Artistique du Ministère de la Culture notamment en charge du soutien aux arts et au spectacle vivant, ne s’était lancée dans un plaidoyer pour une nouvelle politique de l’Etat en faveur d’une participation plus régulière de ces ensembles dits « indépendants » aux programmations des maisons d’opéra permanentes !

Sylviane Tarsot-Gillery a notamment justifié cette volonté de manière étonnante :

« …/…En France, peu d’opéras ont de vrais orchestres installés en leur sein. Les maisons d’opéra ont souvent des conventions avec les orchestres régionaux…/… Il faut essayer de voir ce que peut apporter un orchestre indépendant et la complémentarité qui existe avec un orchestre permanent. L’objectif n’est pas que l’un remplace l’autre… /… Le résultat est que les opéras baroques sont trop rarement donnés. Les maisons d’opéra devraient pouvoir être porteuses de ce grand patrimoine musical français que sont les opéras baroques. Cela est révélateur de la contradiction de ces maisons d’opéra qui ne peuvent pas répondre à tout notre patrimoine musical…./… »

On pourrait s’étonner que la Directrice de la DGCA ignore qu’à part les Opéras de Dijon et de Lille, toutes les grandes maisons lyriques de France entretiennent une relation artistique quasi exclusive avec les orchestres permanents de leur région. Mais la suite du propos nous oblige à penser que cette présentation tronquée n’avait rien de fortuite : « … /… ll y a une vraie question de financement. Tant que ces ensembles n’auront pas de soutien suffisant du point de vue structurel, les maisons d’opéra elles-mêmes ne pourront pas complètement porter leurs productions qui peuvent être lourdes sur ces répertoires…./… »

Dans la même veine, Caroline Sonrier, la Directrice de l’Opéra de Lille  est intervenue sur les mérites d’une politique de co-production avec les ensembles indépendants ; sans doute emportée par son enthousiasme elle a déclaré sans sourire : « Nos collaborations avec les ensembles indépendants répondent à un réel besoin puisque nous n’avons pas d’orchestre permanent. Heureusement que ces ensembles indépendants existent parce que l’orchestre de Lille et l’orchestre de Picardie dans notre région ont d’autres missions que de consacrer leur activité au seul opéra de Lille, comme cela peut être le cas d’autres orchestres régionaux dans d’autres régions (sic)… »

Qui veut noyer son chien dit que c’est un poisson rouge…

Tout le reste du « débat » fut l’occasion de réentendre tous les poncifs cent fois rabâchés sur les mérites comparés des ensembles permanents et des ensembles dits « indépendants : des structures orchestrales et lyriques permanentes sclérosées face à des ensembles spécialisés innovants, modernes, créatifs…  On peut du reste s’interroger : de quelle indépendance parle-t-on lorsque l’équilibre budgétaire dépend soit de subventions de l’Etat et de collectivités territoriales, soit du mécénat, correspondant en réalité à une participation indirecte de fonds publics via les réductions fiscales et surtout d’une prise en charge par l’UNEDIC de ces artistes précaires…

Tout cela pourrait prêter à sourire. Il y a bien longtemps qu’au sein du SNAM-CGT et parmi ses membres la diversité des répertoires ne fait plus débat. Nous sommes tous respectueux des talents des artistes travaillant au sein de ces formations. Et personne ne souhaite se laisser entrainer dans ces polémiques qui prévalaient il y a 30 ans entre les « classiques » et les » baroqueux ». Ces querelles sont totalement dépassées tant les pratiques artistiques, les formations initiales des musiciens dans les conservatoires, ont permis que les différentes approches esthétiques ne soient plus inconciliables : beaucoup d’orchestres permanents abordent les répertoires baroques et classiques avec des chefs issus des ensembles spécialisés et à l’inverse, de plus en plus d’ensembles « spécialisés » s’ouvrent aux répertoires romantiques voire modernes.

Ce qui par contre nous apparaît extrêmement préoccupant c’est la présentation volontairement tendancieuse, la confusion entretenue qui prétend assimiler comme une évidence la nature de l’emploi des artistes à leur capacité d’aborder certains répertoires avec plus ou moins de pertinence : les ensembles basés sur l’intermittence seraient créatifs, « aventuriers » (comme les ont qualifiés le directeur du CNM convié à cette table ronde) alors que les artistes permanents seraient contraints par des cahiers des charges et des missions de service public qui les rendraient incapable de sortir de leur train-train musical…

Cette approche caricaturale n’est pas seulement due à une méconnaissance de la diversité des répertoires abordés par les ensembles permanents et de leur constante adaptation aux propositions toujours différentes des chefs d’orchestre invités à les diriger. C’est vrai qu’on ne voit pas souvent les responsables de la DGCA dans les salles de nos concerts en région, mais pour autant, les interventions convergentes du colloque de la FEVIS ne sont pas inspirées par une forme de parisianisme et encore moins innocentes : en lisant entre les lignes, on comprend qu’elles servent manifestement de justification artistique à des projets de modification des politiques de la DGCA notamment dans le domaine lyrique. Et là, on arrête de sourire pour considérer ces propos avec beaucoup de sérieux… et de vigilance.

Une mauvaise réponse à une vraie question

Qu’est ce qui leur prend ? On peut en effet s’interroger sur les raisons d’une telle offensive des responsables des ensembles dits « indépendants ».

Au-delà de la crise du COVID, depuis plusieurs années, les ensembles musicaux adhérents de la FEVIS et en particulier les ensembles « spécialisés » sont, comme la plupart des structures culturelles lourdement impactés par les baisses des financements des collectivités territoriales. Même si certaines d’entre elles sont financées à hauteur de 30% par le Ministère de la Culture beaucoup sont dans une situation d’extrême fragilité. Dans une interview accordée à la Lettre du Musicien , Céline Portes, déléguée générale de l’ensemble Correspondances déclarait  « On est en sous-structuration permanente, les subventions ne couvrent même pas le fonctionnement, déjà très réduit…/… Nous sommes davantage dans une logique de survie que dans une logique de pérennisation. »

À cette paupérisation des ensembles « indépendants », vient désormais s’ajouter une question presque identitaire : les chefs « pionniers » de ces formations vieillissent et la question de leur pérennité se pose lorsqu’on sait à quel point le soutien exercé par la DGCA et les collectivités territoriales s’est toujours organisé autour d’une fascination pour LE créateur incarnant à lui seul le projet artistique plutôt qu’autour des missions de ces ensembles.

Les intervenants du colloque de la FEVIS et notamment Sylviane Tarsot-Gillery n’ont pas fait mystère de cette difficulté et ont ouvert la voie à une stratégie que nous avions déjà identifiée à l’occasion du Concert des Mille de 1995 : la stratégie du bernard l’hermite : puisque ni les collectivités territoriales, ni l’Etat n’ont plus les moyens de soutenir ces ensembles « indépendants », considérant à priori que les orchestres permanents ne peuvent proposer de manière satisfaisante la diversité du répertoire notamment lyrique, il convient de généraliser des coopérations, des co-productions, voire des résidences de ces ensembles dans les vieilles institutions en manque d’inspiration et naturellement en pompant leurs budgets.

Une offensive tous azimuts

Une série d’indices convergents ne peuvent que nous alerter.

Ainsi, le Centre National de la Musique, établissement créé pour favoriser le développement de la vie musicale en France s’est vu confier un certain nombre de missions censées être complémentaires de celles relevant du Ministère de la Culture.  Sa direction a initié la mise en place de groupes de travail consultatifs destinés à élaborer un certain nombre de propositions d’actions prioritaires.

Lors des 2 premières réunions du groupe de travail « classique et contemporain » la représentante de l’organisation patronale USEP, (la fédération des organisations professionnelles du secteur subventionné) a communiqué un document synthétisant leurs propositions. L’une d’entre elles préconise de voir le CNM intervenir en lien avec le Ministère de la Culture pour financer des  « Aides à la résidence dans des orchestres/opéra/salle de concert ».

Cette proposition de l’USEP-SV est intervenue juste quelques jours après la diffusion du colloque New Deal, organisé par la FEVIS, organisation membre précisément de l’USEP-SV…

Le moins que l’on puisse dire c’est que les responsables des structures « indépendantes » ont de la suite dans les idées.

Mais ce n’est pas tout. Au mois de septembre dernier, Roselyne Bachelot, ministre de la culture, a annoncé la création d’une mission destinée à « dresser un état des lieux de l’art lyrique en France». Comme par hasard, cette mission a été confiée à Caroline Sonrier, Directrice de l’Opéra de Lille, celle-là même qui déclarait lors du colloque « Nex Deal » de la FEVIS : «  Ce que je regrette beaucoup, c’est une résistance de la part des représentants des musiciens pour dire qu’il ne doit y avoir que des orchestres permanents dans les maisons d’opéra. C’est une position qui n’est plus tenable. Ces différents modèles doivent coexister. »

Avec une vision aussi caricaturale des positions de nos syndicats, on peut légitimement s’interroger sur la neutralité de Caroline Sonrier, dans la rédaction finale des préconisations de cette mission…

Musiciens permanents et intermittents unis dans la mobilisation

On le voit, nous avons à faire face à une action concertée du ministère et des organisations patronales pour imposer aux maisons d’opéra permanentes la programmation de spectacles ou la résidence d’ensembles dits « indépendants ».

Ce type de collaboration ou d’invitation est déjà une réalité dans les grandes institutions lyriques de notre pays : à Paris, Lyon ou Toulouse, un certain nombre de productions ont été proposées avec la participation d’ensembles spécialisés.  Personne, et surtout pas le SNAM ne s’est opposé à ces collaborations croisées. Mais comment ne pas voir dans ces différentes déclarations, la volonté de favoriser à terme une évolution vers un autre modèle des maisons d’Opéra en France ? Dans des villes comme Tours, Metz ou Avignon, où régulièrement les élus s’interrogent à haute voix sur le coût jugé excessif de leurs formations permanentes, ne peut-on imaginer qu’un financement alternatif (le CNM et le mécénat), un autre mode d’emploi des musiciens (l’intermittence plutôt que la permanence), des répertoires nécessitant des effectifs moindres… finiront par les inciter à se désengager de leurs responsabilités vis-à-vis du service public ?

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : faute de proposer un plan de soutien aux structures spécialisées, faute de proposer des mesures contre la précarité des artistes travaillant dans ces formations, le ministère propose de siphonner les budgets des opéras permanents (abondés par des collectivités locales) au risque de remettre en cause les emplois et les missions de service public des structures ancrées dans les territoires.

Le SNAM-CGT est intervenu , par la voix de son président Yves Sapir,  lors du groupe de travail « classique et contemporain » du CNM pour dire « …son opposition à ce que des aides spécifiques soient revendiquées auprès du CNM pour favoriser les résidences ou les productions livrées « clé en main » dans les orchestres permanents et les maisons d’opéra car en intervenant sur des budgets de création et de diffusion, non seulement le CNM se substituerait aux prérogatives de l’Etat et/ou des collectivités territoriales mais de plus cette intervention deviendrait toxique en proposant un modèle économique alternatif au financement par les pouvoirs publics des structures permanentes… »

Nous interviendrons encore dans ce sens à chaque occasion, et notamment devant les missions « futur des orchestres » et « art lyrique » qui s’annoncent.

Mais au-delà de ces positions « défensives », les organisations d’artistes doivent être porteuses de projets alternatifs. Nous appelons donc, tous les artistes des orchestres et des chœurs permanents mais aussi ceux et celles des formations dites indépendantes à se mobiliser contre ces projets destructeurs et surtout à participer nombreux à notre réflexion commune afin d’exprimer ensemble des propositions ambitieuses pour la création et la diffusion musicales dans toute la diversité de leurs esthétiques.