Mission Sonrier sur l’art lyrique : notre analyse en 10 points

 Publié le : 21 Déc 2021  

Le rapport remis à la ministre Roselyne Bachelot par Caroline Sonrier et Emmanuel Quinchez est le fruit d’un travail de compilation de données qui était nécessaire, mettant en exergue un certain nombre de difficultés que rencontre un secteur considérablement fragilisé. Il pointe la baisse des budgets en euros constants, la multiplication et l’injonction à l’accomplissement de missions nouvelles sans financements supplémentaires, l’hétérogénéité des structures, l’inégalité d’implantation sur les territoires, le niveau inférieur des budgets des grandes institutions lyriques françaises vis-à-vis des autres grandes maisons d’opéra européennes et un certain nombre d’autres freins au développement de la création et de la diffusion de l’art lyrique en France.

Un certain nombre de recommandations qui en découlent ne peuvent que faire consensus. Mais au-delà de ces louables préconisations, il nous apparaît indispensable de noter différents points de profonds désaccords et autres oublis.

1- Répartitions des financements des maisons d’opéra :

Le SNAM-CGT est attaché à favoriser, chaque fois que c’est possible, la présence sur les territoires de maisons d’Opéra comportant en leur sein des formations musicales permanentes et des équipes techniques à même de développer la création et la diffusion « de proximité ». Certains choix sémantiques de Caroline Sonrier démontrent qu’elle ne partage pas cet objectif. Ainsi l’expression “marge artistique” est utilisée de très nombreuses fois dans ce rapport lorsqu’il s’agit de souligner la difficulté des institutions à développer leurs missions. Elle correspond pour nos administrations au budget restant une fois les dépenses incompressibles calculées, soit les cachets et défraiements des différents solistes et chefs invités. Le recours systématique à ce concept laisse à penser que Mme Sonrier porte une attention particulière dans son rapport aux chefs et aux solistes comme s’ils étaient les seuls garants de la qualité artistique. Rien d’étonnant lorsqu’on se souvient des personnes conviées aux différents groupes de travail. Mais qu’en est-il alors de toutes les forces permanentes présentes dans ces maisons au quotidien? Ne sont-elles pas, à tout le moins, aussi garantes de la qualité artistique? Au lieu de présenter la masse salariale des artistes permanents comme une entrave, au lieu de se focaliser sur la réduction de la partie budgétaire allouées aux solistes et chefs invités, la mission aurait pu s’interroger sur les cachets et conditions parfois délirantes de certains d’entre eux.

Au travers du rapport, on pourrait croire également que Mme Sonrier regrette que les maisons d’opéras aient assumé le choix de maintenir les forces permanentes malgré la stagnation des financements depuis des années.

Si les maisons d’opéras ont été obligées de réduire certains projets depuis plusieurs années, c’est bien parce que les financements n’ont pas suivi l’inflation. La difficulté ne réside donc pas dans la baisse de la marge artistique mais bien dans la baisse en euros constants des financements alloués pour toutes ces structures.

Or le rapport n’a pas mis en exergue le niveau insuffisant des budgets des institutions lyriques au regard de leurs homologues européens, et bien évidemment n’évoque pas le niveau extrêmement bas des rémunérations des artistes des chœurs et de ballets. Si ses auteurs évoquent parfois la stagnation des financements publics, voire leur baisse en euros constants, le rapport n’affirme jamais la nécessité d’une réévaluation des moyens budgétaires seuls à même de permettre un certain nombre de ses préconisations.

2- Fusion des labels : une préconisation qui nie le lien entre permanence et mission de service public :

La diversité des labels existants rend compte de l’hétérogénéité de ce que peuvent proposer les différentes structures en termes de moyens artistiques et de missions, de garantie de permanence de l’emploi et d’ancrage territorial. au travers de cahiers des charges spécifiques. Pourtant, tout au long du rapport, la mission considère sans distinction toutes les “maisons d’opéra”, quel que soit leur modèle économique, depuis des opéras permanents dotés en leur sein de toutes les forces administratives, musicales et techniques nécessaires à la création et à la diffusion des oeuvres du répertoire lyrique, jusqu’aux structures dont la programmation repose essentiellement sur une politique d’invitation ou de résidence.

Elle dénonce le traitement inégal que l’Etat réserverait aux institutions permanentes (labellisées ou non) vis-à-vis des structures ayant obtenu le label de scènes lyriques d’intérêt national, comme si la permanence des emplois artistiques et techniques, l’ancrage territorial n’apportaient aucun bénéfice quant à la qualité et à l’accomplissement de toutes les missions de service public.

Alors que la quasi-totalité des grandes scènes lyriques mondiales fondent leurs activités sur la permanence de l’emploi, la mission Sonrier nie le lien organique entre la présence au quotidien, l’ancrage territorial des formations orchestrales et chorales et l’accomplissement des missions de service public. Au contraire, en de nombreuses occasions, par petites touches, la mission dresse un portrait caricatural des maisons d’opéra permanentes et de leurs formations musicales : frein à la création, à la diversité des répertoires, difficulté à s’adapter aux nouveaux  enjeux écologiques et sociaux… autant de lourdeurs et de handicaps qui pourraient être compensés par une présence accrue de structures “indépendantes” invitées.

Ce portrait à charge se conclut par la préconisation d’une fusion des labels existants, comme si la reconnaissance par l’État ne devait s’évaluer qu’au regard de critères purement esthétiques. Cette proposition de fusion des labels, présentée comme répondant à une nécessité de simplification, ne nous semble pas tenir compte des capacités inégales des différentes structures lyriques à respecter sans discontinuer les cahiers des charges qui avaient précisément été définis pour répondre aux besoins des territoires en termes de création et de diffusion.

Une telle préconisation, si elle était adoptée, représenterait selon nous une incitation implicite en direction des élus territoriaux à réviser leurs soutiens à la permanence des emplois au profit de modèles économiques reposant sur un recours abusif à l’assurance chômage pour financer des missions permanentes (cf. la récente décision de la Cour de Cassation de Lyon).

Il aurait été plus judicieux de permettre à ces maisons de répondre au cahier des charges actuel en leur donnant les moyens nécessaires à l’accomplissement de toutes les missions artistiques et à la création d’équipes permanentes.

 

3- Aucune perspective pour les ensembles indépendants :

Compte tenu des difficultés que connaissent bon nombre d’ensembles spécialisés, il aurait été très utile de prévoir un plan de de soutien et de développement, une réflexion sur leurs missions, sur leur apport indispensable au travers des territoires. En cela, les préconisations du rapport manquent singulièrement d’ambition et ne proposent aucune perspective adaptée aux spécificités de ces ensembles.

Ainsi, considérés comme “plus simples d’utilisation” au motif qu’ils seraient en capacité de monter des spectacles plus rapidement, ces structures ne sont considérées qu’au regard des capacités des structures permanentes à les accueillir, les laissant dans une précarité intolérable. Selon le rapport, ces ensembles seraient également plus aptes à favoriser de plus nombreuses créations contemporaines, mais il n’y a aucune préoccupation ni de la qualité, ni sans aucune considération des conditions de travail des artistes. Le rapport regrette cependant leur faible taux de financement qui représenterait un frein à la découverte de nouveaux répertoires, à de nouvelles créations ou interprétations.

Dans son refus de prendre en compte la diversité des modèles économiques, le rapport “oublie” de mettre en évidence cette contradiction que génère le sous-financement de ces ensembles spécialisés, vantés pour leurs pratiques artistiques innovantes mais contraints de faire appel au mécénat et à un volume important d’autofinancement, ressources par nature moins favorables à la prise de risque artistique. À l’inverse, elle s’obstine à associer une image de “routine” artistique aux maisons d’opéras permanentes, alors que précisément, leur moindre injonction à générer des recettes propres les rend plus à même de prendre le risque d’explorer l’univers des possibles.

 

Ce rapport préconise une collaboration entre les maisons d’opéra et des compagnies lyriques afin de permettre des formats adaptables pour les tournées. Il est évident que la mobilité répond à un véritable besoin permettant un meilleur accès pour tous au répertoire lyrique, cependant cette préconisation sous-entend d’une part que les structures permanentes seraient incapables d’organiser cela avec leurs propres forces mais également fait la démonstration du peu d’ambition pour ces compagnies lyriques, les cantonnant à des missions de diffusion “hors les murs” sans grande stratégie de développement. Encore une fois, la précarité des emplois et donc la recherche du moindre coût semble être le seul horizon envisagé.

 

4- Rééquilibrage sur le plan géographique :

Cette problématique renvoie à une réalité incontournable : l’absence dans un certain nombre de régions françaises, de structures de création et de diffusion musicales permanentes. Mais aucune préconisation n’est avancée pour travailler à la création, en lien avec les élus territoriaux des régions qui en sont dépourvues, de structures permanentes qui seraient en capacité d’assurer les mêmes missions de service public et le même niveau d’exigence que les opéras ayant obtenu le label national. La permanence est pourtant un élément essentiel nécessaire à l’accomplissement, sur tout le territoire, des différentes missions de service public qui sont celles de ces maisons car seules des forces permanentes permettent le développement d’une identité propre à chaque ensemble; celle-ci ne pouvant se développer qu’avec un travail régulier d’un même groupe d’artistes. Au-delà des arguments artistiques et sociaux qui plaident en faveur de la permanence des emplois des artistes, l’urgence écologique place désormais les collectivités et l’Etat devant une nouvelle responsabilité : qui pourrait aujourd’hui nier que l’ancrage territorial, les “circuits courts” de création et de diffusion artistiques, et donc l’implantation de structures permanentes sur les territoires soient des réponses modernes face à ces enjeux de nécessaire réduction du bilan carbone.

5- Evolution des missions :

Les auteurs de ce rapport jugent nécessaire une évolution des missions des musiciens mais cet objectif semble, toujours selon eux, se heurter au fait que les artistes soient frileux devant d’éventuels changements. Comment Madame Sonrier peut-elle affirmer cela sans avoir discuté avec tous les représentants des artistes? L’étude menée par le SNAM-CGT auprès des artistes interprètes des orchestres et des chœurs témoigne au contraire de l’intérêt qu’ils portent vis-à-vis de l’accès de tous les publics à leurs spectacles. Or dans ce rapport, il n’y a aucune préconisation tarifaire pour faciliter l’accès à tous. De plus, les métiers de médiation et ceux d’artiste-interprète requièrent des compétences distinctes et ce n’est pas en réduisant les activités d’interprètes au profit d’activité de médiateur pour les missions d’EAC que les publics les plus divers auront d’avantage accès aux spectacles d’opéra. Madame Sonrier souligne à juste titre la multiplication de ces nouvelles missions dévolues sans contreparties financières permettant de les mener à bien. Nous regrettons alors qu’elle n’ait pas jugé opportun d’inclure dans ses recommandations la nécessité de nouvelles lignes de financements dédiées à l’éducation artistique et culturelle.

6- Ballets :

Sans préconiser la suppression du recours à la danse, le rapport précise, de manière paradoxale, d’externaliser les compagnies et de les rendre autonomes. Compte tenu du paysage de la danse, il ne fait que peu de doute que cette proposition renverrait ces compagnies et leurs danseurs vers le monde de l’intermittence. Alors que ce métier souffre déjà d’une grande précarité (turn over abusif dans les structures de droit public et d’une absence totale de gestion de fin de carrière), les séparer des structures permanentes ne ferait qu’accroître ces difficultés. Encore une fois ce rapport renvoie vers plus de précarité.

7- FONPEPS :

La création du fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle répondait à une logique d’aide à la déprécarisation de l’emploi même si peu adaptée aux réels besoins des maisons d’opéra. Or, le rapport limite son recours aux seules structures ayant déjà des emplois permanents «qui traversent une mauvaise passe » ou qui « souhaitent favoriser l’emploi des jeunes artistes…». Nombre de maisons d’opéra comme celles de Tours, Saint Etienne, Limoges, Dijon ou Lille développent des missions de service public, sont ancrées dans les territoires, font même référence à une nomenclature d’emplois mais ont un recours systématique à l’intermittence pour une partie de leurs emplois. Plutôt que de limiter le recours au FONPEPS aux seules structures ayant déjà des emplois permanents, il eût été plus ambitieux et plus fondateur de préconiser un véritable plan pour l’emploi dans ces structures par le biais effectivement d’aides de type FONPEPS dont tout le monde sait que le secteur du classique a très peu bénéficié.

8- Captations :

Le rapport préconise plus de diffusions audiovisuelles. Cette seule recommandation, bien que louable, est totalement insuffisante car si l’objectif de retransmettre plus régulièrement des spectacles d’opéra et de danse est bien entendu une bonne idée, il ne pourra se faire qu’avec l’appui de l’audiovisuel public qui doit prendre part à ce projet avec des moyens alloués pour cela et des diffusions à des heures de grande écoute.

9- Les sujets absents du rapport :

Nous ne pouvons que regretter que le rapport de cette mission soit totalement muet sur des questions pourtant fondamentales comme la lutte contre la précarité, le recours abusif à la pratique amateur dans les choeurs, la prévention des risques sanitaires, la souffrance au travail, la vétusté des locaux ou encore des conditions de travail de manière générale.

Il n’y a absolument rien non plus permettant d’orienter les structures lyriques intermittentes vers des créations de délégations syndicales permettant un meilleur dialogue social et une meilleure prise en compte des atteintes à la dignité des personnes.

10- Conclusion et appel au dialogue :

En conclusion, le rapport aborde un certain nombre de points qui ne peuvent que faire consensus. Il en est ainsi des craintes concernant la fragilité financière d’un grand nombre de maisons d’opéra françaises, et des insuffisances constatées en matière de démocratie culturelle, de décentralisation et d’ouverture à de nouveaux publics.

Mais derrière ces déclarations, les préconisations formulées par la mission ne nous semblent pas de nature à répondre à ces enjeux fondamentaux. Cette mission manque par exemple singulièrement d’ambition pour tous les territoires qui ne sont pas dotés de structures lyriques permanentes. On ne retrouve aucune ambition pour un meilleur accès pour tous, pour une plus grande diffusion sur tout le territoire et aucune proposition économique n’est formulée pour les ballets et les chœurs permanents avec une totale absence de reconnaissance pour tous ces artistes présents au quotidien, devant tout le temps démontrer leur capacité et l’excellence nécessaire à la présentation de spectacles tout au long de leur carrière. De même, s’agissant des structures dont l’activité repose sur l’intermittence des emplois, aucun plan de soutien, aucune perspective de développement vers la permanence des emplois n’est envisagée si ce n’est de venir grappiller quelques ressources en participant ponctuellement à la programmation des grandes institutions.

En refusant d’aborder les thématiques de l’art lyrique sous l’angle de la place et de l’importance de toutes nos missions de  service public, en refusant de travailler à des politiques d’aménagement du territoire, en niant ce qui distingue les modèles économiques et les missions des différentes structures étudiées, Caroline Sonrier et Emmanuel Quinchez finissent par considérer que, quel que soit le régime d’emploi de leurs artistes, le volume et la nature de leur activité, leur capacité de création artistique, toutes les structures lyriques devraient bénéficier de la même considération de l’Etat sous la forme d’un label unique. Une telle préconisation nous semble devoir être combattue avec vigueur. Elle nous apparaît en effet révélatrice d’une vision libérale inspirée par un modèle basé sur l’intermittence et la précarité qui ne trouve aucun équivalent au sein des grandes scènes lyriques internationales.

Nous appelons à l’ouverture d’un débat avec l’ensemble des participants de cette mission mais aussi avec tous ceux et toutes qui en ont été exclus pour qu’un plan ambitieux pour l’art lyrique en France puisse être formulé et porté par l’ensemble de ses acteurs auprès des pouvoirs publics.

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