50 ans de présomption de salariat
par Marc Slyper
Le 26 décembre 2019, 50ème anniversaire de la présomption de salariat
La loi n°69-1186 portant présomption de salariat des artistes interprètes, proposée par le gouvernement, est adoptée, à l’unanimité, par l’assemblée nationale le 11 décembre 1969. Elle est signée par le président de la République Georges Pompidou le 26 décembre à Cajarc dans sa villégiature d’hiver, et publiée le 30 du même mois au JO.
Elle institue une présomption de contrat de travail donc de salariat aux artistes interprètes mais aussi aux mannequins.
Voici sa version originelle :
« Tout contrat par lequel une personne physique ou morale s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est considéré être un contrat de louage de services dès lors que l’artiste n’exerce pas l’activité, objet de ce contrat, dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce.
Cette présomption subsiste quels que soient le mode ou le montant de la rémunération, ainsi que la qualification donnée au contrat par les parties. Elle n’est pas non plus détruite par la preuve que l’artiste conserve la liberté d’expression de son art, qu’il est propriétaire de tout ou partie du matériel utilisé ou qu’il emploie lui-même une ou plusieurs personnes pour le seconder dès lors qu’il participe lui-même au spectacle. »
La loi, transposée dans le code du travail, précise par ailleurs la liste des artistes interprètes concernés, le fait que le contrat doit être individuel mais s’il peut-être commun aux artistes participant au même numéro ou au même orchestre, dans ce cas le contrat doit faire la liste nominale de chaque artiste interprète et le montant de sa rémunération. Enfin la loi donne possibilité à un artiste interprète de signer le contrat au nom des artistes l’ayant mandaté pour se faire.
La loi se finit par cette phrase : « Conserve la qualité de salarié, l’artiste contractant dans les conditions précitées. »
Cette loi est le résultat des propositions, revendications, actions et grèves des syndicats d’artistes interprètes CGT (SFA, Union des artistes, syndicats de musiciens, Snam).
Les artistes interprètes, musiciennes et musiciens signaient déjà des contrats de travail dans des établissements de spectacle, pour des tournées. Ainsi les syndicats d’artistes interprètes, ceux des techniciens Cgt et la Fédération ont négociés et signés la convention collective des Théâtres Privés le 31 octobre 1951 et celle des tournées le 12 mars 1958 tout comme des accords collectifs d’établissement.
Pourtant, dans bien des cas, pour tout le travail discontinu et donc des engagements de très courtes durées, la règle était le plus souvent l’absence de contrat.
Cette situation a amené nos organisations a revendiqué une loi sur la présomption de salariat dès le début des années 1960. Cela a abouti à la création, dans un premier temps de la vignette de Sécurité Sociale en 1965, puis l’organisation de grèves et mouvements revendicatifs notamment en 1966 et 1967 pour aboutir après mai, juin 1968 à l’adoption en décembre 1969 de la loi instituant la présomption de salariat.
Cette loi sera modifiée dans les années 1970 ou la présomption de contrat de louage de services sera remplacée par la présomption de contrat de travail.
La principale modification de la loi interviendra en 2005, après condamnation de la France par la Cour de Justice de l’Union Européenne. Elle concerne les artistes étrangers exerçant leur activité comme travailleurs indépendants.
Tout commence en 1996. A la suite de la chute du mur de Berlin en 1989, au début des années 1990 notre pays voit de nombreuses productions faire appel à des artistes de l’Est européen dans des conditions de non respect de la présomption de salariat, de concurrence déloyale et de dumping social. Ainsi voyons nous près de 6 troupes du Kirov produites en Europe en même temps. Des entreprises comme IMG MacCormac qui font des bénéfices substantielles dans le secteur du sport, s’intéressent aux artistes. IMG Mac Cormac va créer Artistes Européens pour organiser cette concurrence déloyale. Selon la presse la maffia russe participe à cette activité juteuse. Bien sur nous sommes vent debout, avec succès, contre ces détournements de la loi.
Pour y répondre, en 1996 est créée la COPDAF, Coordination pour la Production et la Diffusion Artistique en France, à laquelle adhère l’ensemble des organisations, festivals, fédération d’employeurs des spectacles. Nos interventions aboutirons au départ des organisations d’employeurs. La Copdaf continue son activité et saisit la commission de Bruxelles sur l’application de la présomption de contrat de travail à des artistes européens indépendants après avis motivé et lettre de mise en demeure, malgré les réponse de la France la commission saisit la CJUE et fera condamner notre pays.
En 2005 la modification de la loi prévoit donc une exception à la présomption de salariat pour les artistes européens indépendants. Nous obtiendrons qu’il revient aux organisateurs, pour en bénéficier de faire la preuve que les artistes interprètes européens concernés exercent bien dans leur pays comme travailleurs indépendants, sont bien inscrits au registre du commerce de leur pays et s’acquittent de leurs cotisations sociales obligatoires.
En novembre 1999 pour garantir le salariat des artistes interprètes, le versement des cotisations et contributions sociales pour les occasionnels et les particuliers et en 2005 pour les entreprises ayant une activité principale qui n’est pas le spectacle mais en organisent régulièrement, est mis en œuvre le GUSO, revendiqué par la Fédération du spectacle CGT et ses syndicats depuis 1976.
Aujourd’hui notre présomption de salariat est attaquée par le développement du travail indépendant imposé, masquant le lien de subordination, par le portage salarial et autres détournements de notre statut de salarié comme les velléités de statut d’artiste producteur.
Bien des professions, comme les métiers techniques du spectacle et de l’audiovisuel sont au cœur du travail indépendant imposé, du camouflage du lien de subordination et pourraient revendiquer une présomption de contrat de travail.
La loi de décembre 1969 a encore de beaux jours devant elle. Ne boudons pas notre satisfaction de lui fêter 50 ans.
Marc Slyper