Condamnation du Directeur du Ballet de l’Opéra National de Lyon pour discrimination : jusqu’à quand la tartuferie ?

 Publié le : 11 Déc 2019  

Nous apprenons que M. Yorgos Loukos, Directeur du Ballet de l’Opéra National de Lyon, vient de voir sa condamnation pour discrimination confirmée par la Cour d’Appel de Lyon. Notre syndicat, le SAMPL-CGT, était partie civile dans le procès.
Nous rappelons que M. Loukos a été condamné pour ne pas avoir renouvelé le contrat d’une danseuse au motif qu’elle revenait de maternité et nous nous réjouissons donc que justice soit faite, même si le montant de la condamnation reste faible.
Mais cela ne clôt pas l’affaire.
Comment se fait il que l’organisation d’employeurs Les Forces Musicales, qui publie une littérature abondante sur l’égalité entre les hommes et les femmes dans ses ensembles musicaux, lyriques ou chorégraphiques, n’ait jamais émis le moindre commentaire sur cette situation chez l’un de ses membres ?
Comment se fait-il que la Réunion des Opéras de France (ROF) vienne d’adopter une vibrante  » Charte éthique des opéras  » mais qu’elle feigne d’ignorer qu’un de ses membres la foule aux pieds en faisant diriger son ballet par une personne dont la première condamnation en Correctionnelle date déjà de deux ans ?
Comment se fait-il que le Ministère de la Culture, qui accorde le label d’Opéra National, n’ait rien jamais trouvé à redire au maintien de M. Loukos à son poste de directeur du ballet ?
Comment se fait-il qu’à l’Opéra National de Lyon les décisions discriminatoires de M. Loukos aient été entérinées ? Comment se fait-il que le directeur du ballet n’ait fait l’objet d’aucune procédure disciplinaire sur des actes dont la direction avait connaissance, du fait même de l’existence de la procédure pénale ?
Le constat est accablant. Dans notre pays, rien n’est fait lorsqu’il s’agit de remettre en cause des personnes en position de pouvoir dans les institutions culturelles. De notre côté, nous avons pris nos responsabilités en nous engageant dans la procédure pénale.
Alors que les enquêtes montrent que de nombreuses artistes renoncent à faire carrière en raison des agissements qu’elles subissent, nous exigeons désormais des décideurs politiques et culturels la fin de l’impunité au sein des entreprises de spectacles.

Paris le 11 décembre 2019


Suite à la parution de ce communiqué de presse sur notre site la Réunion des Opéras de France (ROF) a fait parvenir au Président du SNAM-CGT la demande de droit de réponse suivante : 

Monsieur le Président,

Nous prenons connaissance du communiqué de presse que vous publiez le 11 décembre intitulé « Condamnation du directeur du ballet de l’Opéra nationale Lyon pour discrimination : Jusqu’à quand la tartuferie ? ».

Vous mettez en cause la réunion des opéras de France « Comment se fait-il que la Réunion des Opéras de France (ROF) vienne d’adopter une vibrante  » Charte éthique des opéras  » mais qu’elle feigne d’ignorer qu’un de ses membres la foule aux pieds en faisant diriger son ballet par une personne dont la première condamnation en Correctionnelle date déjà de deux ans ? »

Permettez nous d’apporter plusieurs commentaires à votre condamnation sans appel :

  • La Rof n’a pas à s’immiscer dans les relations interprofessionnelles de ses membres, ni à prendre parti publiquement, ni à rendre la justice à la place des juges, ni à sanctionner certains comportements à la place es instances disciplinaires.
  • Pour autant, la ROF, en tant que lieu national de rencontre des maisons de l’art lyrique a pu proposer à ses membres l’adoption d’un mécanisme novateur destiné à promouvoir des relations de travail sereines et apaisées. La Charte, dont vous semblez douter de la valeur, a précisément pour objet, – et aurait effectivement permis d’éviter – que de telles situations inacceptables adviennent et s’enveniment. En mettant en place un mécanisme d’alerte qui permet de libérer la parole dans le cadre d’une procédure normalisée et équilibrée, la Charte aurait facilité le déclenchement précoce d’une procédure disciplinaire dès avant la saisine du juge pénal, ainsi que l’appelez de vos vœux dans votre communiqué.

A ce titre nous attendions de votre syndicat qu’il salue le travail effectué par notre réseau, le premier dans le secteur du spectacle vivant à se dote d’une telle procédure interne dont l’objectif est d’assurer à toute personne intervenant dans ces établissements un environnement de travail sûr et apaisé.

Nous présenterons cette charte éthique aux BIS de Nantes lors d’un atelier le 22 janvier 20202 à 16H30 ainsi que la possibilité de découvrir un système en ligne sécurisé de recueil et traitement des signalements qui compléterait de manière tout à fait efficace la charte éthique.

Ce moment sera peut-être l’occasion d’une rencontre pour découvrir notre démarche de compliance et militer à nos cotés pour que cette charte devienne une référence pour tous les établissements culturels.

Nous vous remercions de bien vouloir publier ce droit de réponse à la suite de votre communiqué.

Dans cette attente nous vous prions de croire, M. le Président à l’assurance de notre meilleur souvenir.

Laurence DESSERTINE

Présidente


Précisions du SNAM-CGT à la suite du droit de réponse demandé par l’association RÉUNION DES OPÉRAS DE FRANCE (ROF) :

Votre texte laisse entendre que le SNAM-CGT ne tient aucun compte de la bonne volonté affichée par les adhérents de la ROF à l’occasion de l’adoption de leur charte d’éthique. Vous nous invitez à prendre connaissance de votre démarche de « compliance » et de militer à vos côtés pour que cette charte devienne une référence pour tous les établissements culturels.

Il n’est peut-être pas inutile en effet de rappeler pour nos lecteurs ce que recouvre cette notion de « compliance » présentée ici comme une démarche particulièrement hardie. Ce concept, dérivé d’un anglicisme nous vient tout droit du monde de la finance et de l’entreprise. La compliance regroupe l’ensemble des processus destinés à assurer qu’une entreprise, ses dirigeants et ses salariés respectent les normes juridiques et éthiques qui leur sont applicables.

Autrement dit, à vous lire, la ROF serait dans une démarche exemplaire et novatrice parce qu’elle inciterait les responsables des maisons d’opéra de France à respecter enfin des principes éthiques tels que l’égalité, la lutte contre le harcèlement moral ou sexuel, la lutte contre les discriminations, y compris celles liées aux activités syndicales etc.

Toutes ces notions sont inscrites depuis longtemps dans la loi. Dire avec emphase qu’une telle charte est novatrice, n’est-ce pas reconnaître ce que nous ne cessons de dénoncer depuis trop longtemps ? Les responsables des maisons d’Opéra de France ainsi que les élus en charge de leurs tutelles portent dans bon nombre de villes une lourde responsabilité dans l’omerta qui couvre depuis longtemps des agissements inexcusables perpétrés à l’encontre de nombreuses victimes.

Par exemple à Lyon, lorsque, comme cela fut fait en 2014, le signalement de faits aussi graves que ceux qui ont amené à une condamnation pénale pour discrimination est réalisé par une victime et par un syndicat d’artistes auprès de la direction d’un opéra national et qu’aucune procédure disciplinaire n’est décidée, nous estimons que la responsabilité de l’employeur est engagée. Lorsque le non-renouvellement du contrat de l’artiste basé sur motif discriminatoire fut demandé par le directeur du ballet et qu’il fut confirmé par ladite direction, nous estimons qu’il y a complicité coupable. Lorsqu’une condamnation en correctionnelle en 2017 n’a pas produit la moindre réaction, lorsque la condamnation fut confirmée en décembre 2019 et que nous constatons que M. Loukos est toujours en poste, nous pensons qu’il y a un engagement de l’employeur au côté du coupable et non de la victime. D’autant plus que, parallèlement, ni le syndicat d’employeur Forces Musicales ni le Ministère de la Culture ne jugent utile de s’exprimer sur cette condamnation.

Lorsque, à Toulouse, des faits d’une gravité exceptionnelle sont dénoncés en 2018 par le seul syndicat du SNAM, alors que la loi fait obligation à tout fonctionnaire ou contractuel de la fonction publique de dénoncer des faits pénalement répréhensibles, et que ce signalement n’est suivi d’aucun effet, alors, oui, nous sommes en droit de douter de la volonté de réellement changer les choses de la part des maisons d’opéra.

Cette situation, mais aussi d’autres, que nous avons rappelées dans notre publication SNAM.INFOS en juin 2018 (voir ici), que nous avons aussi évoquées publiquement lors des rencontres ACCORD MAJEUR en juillet 2018, ne sont jamais ni démenties publiquement ni sanctionnées dans les structures lyriques.

Mais, comme vous le savez, nous ne faisons pas que dénoncer.

Nous avons d’abord saisi les Forces Musicales de ces questions. Depuis plus d’un an nous négocions avec les organisations d’employeurs réunies dans la FESAC un « plan d’actions » qui se donne notamment pour but de mettre fin à l’impunité dans les entreprises. Nous revendiquons auprès du ministère de la culture les moyens nécessaires à la réalisation de ce plan d’actions. Notons ici que, contrairement à votre initiative de charte, ce plan d’action est issu d’échanges entre les représentants des salariés dont les artistes et représentants des employeurs. Mais comment aussi ne pas pointer aussi que votre charte ne cite pas une fois ni les prérogatives des représentants des personnels, ni celles des organisations syndicales. Ainsi, en présentant votre charte comme une avancée, vous trompez votre monde. Vous ne créez aucun nouveau droit mais vous dissimulez une partie de ceux que la loi ou les conventions collectives donnent aux artistes salariés. Quant à la manière dont vous prétendez limiter la liberté de dénoncer publiquement les agissements qui peuvent être commis dans vos maisons, elle est tout simplement grotesque et sera nécessairement moquée par tous les acteurs de la lutte pour l’égalité.

Nous avons aussi réalisé et rendu publique en 2018 une étude réalisée auprès de plusieurs centaines d’artistes sur le quotidien des femmes artistes de la musique qui met en lumière des réalités qu’on croirait d’un autre âge. C’est une des raisons pour lesquelles nous estimons que, dans le secteur musical comme dans l’ensemble du secteur des arts, la mesure du fléau n’est pas prise et que les déclarations d’intention doivent céder la place aux actes.

Si, comme vous l’écrivez, il y a un travail à saluer et que désormais vos membres entameront effectivement des procédures d’enquête et de sanction dès qu’ils auront connaissance de faits délictueux, croyez bien que nous ne manquerons pas de continuer à les mettre face à leurs responsabilités à la première occasion.

Bien-sûr nous ferons le nécessaire pour être présents lors du débat que vous organisez aux BIS et nous vous demanderons publiquement de renoncer à cette charte qui, constituant au mieux le rappel sur un ton paternaliste de droits existants et au pire la dissimulation d’autres droits dont disposent les victimes, est pour les artistes et pour nous une provocation. Nous vous demanderons aussi ce que nous avons déjà demandé aux Forces Musicales, à savoir entamer une discussion avec nous prenant en compte les propositions des organisations d’artistes. Si vous l’acceptiez, nous pourrions enfin agir et lutter concrètement contre toutes les formes d’atteintes aux droits des personnes au sein de vos structures lyriques.

Paris, le 6 janvier 2020