JUIN 2021

Lors du Conseil National des Professions du Spectacle CNPS) du 11 mai dernier, Élisabeth Borne a donné sa réponse à des mois de mobilisation intense contre la précarisation des intermittent·e·s (mais pas que) : quelques miettes d’aide à l’emploi, un abaissement – bien tardif – du seuil pour les primo-entrant·e·s de moins de 30 ans, et la prolongation de la mesure actuelle « année blanche » jusqu’au 31 décembre, avec quelques aménagements de sortie.

Concrètement, que va-t-il se passer ? Que faut-il en attendre, et surtout pourquoi c’est loin d’être satisfaisant ?

Les mesures en quelques mots 

La machine législative est en marche : il y a quelques jours, l’assemblée nationale a autorisé le gouvernement à légiférer par ordonnance. Une fois cette dernière sortie, un décret pourra être publié pour donner le détail des mesures, probablement dans le courant de l’été.

Des surprises sont donc possibles et tout ce qui est dit ici est à prendre avec les réserves d’usage, néanmoins nous avons pu échanger avec les cabinets du ministère du Travail et de la Culture qui nous ont confirmé les directions envisagées.

Les grands principes :

  • Tous les droits ouverts sont automatiquement prolongés jusqu’au 31 décembre 2021 ;
  • A cette date, le réexamen se fera dans les conditions usuelles : 507h (ou plus) sur 12 mois avant la dernière fin de contrat, allocation calculée sur cette période ;
  • Si les 507h ne sont pas réunies sur un an, il sera possible de remonter jusqu’à les trouver, dans la limite du dernier renouvellement. L’allocation serait alors calculée sur la base des salaires correspondant à ces 507h.
  • 140 heures d’enseignement pourront être prises en compte (170 pour les + de 50 ans).

Des filets de sécurité interviennent ensuite pour celles et ceux qui n’ont pas les heures, même avec la période allongée :

  • La clause de rattrapage sera possible dès 338h, quelle que soit l’ancienneté. Les droits sont alors prolongés pour 6 mois maximum, le temps de faire les heures manquantes (pour arriver à 507 depuis le dernier renouvellement). Si c’est le cas, lanouvelle date anniversaire sera forcément fixée au 31/12/2022 : cela laissera donc moins de temps pour faire ses heures en 2022 ;
  • L’allocation de professionnalisation et de solidarité (APS), aménagée, permettra d’assurer à toute personne ayant des droits ouverts d’en ouvrir de nouveaux au 31/12/2021, quel que soit le nombre d’heures réalisées depuis le dernier renouvellement. En effet, il sera possible de remonter jusqu’à trouver 507h, sans limite, y compris sur les anciens dossiers. L’allocation sera alors calculée sur la base de ces 507h, et, sauf salaires élevés, échouera sur l’allocation minimale. Les droits seront ouverts pour un an maximum.
  • Fin 2022, l’APS de droit commun (assez peu généreuse) sera toujours accessible si les 507h sont réunies sur un an ;
  • Dès obtention des 507h sur 12 mois on bascule dans le système « normal » (ARE).

Pour les primo-entrants :

  • Le seuil d’heures va être abaissé à 338 à partir du 1erseptembre 2021 et jusqu’au 28 février 2022. Cela ouvrira des droits temporaires de 6 mois maximum, le temps de faire le complément jusqu’à 507h pour ouvrir des droits « normaux ».
  • Cette mesure est cependant réservée aux moins de 30 ans dont c’est le premier dossier, ce qui est arbitraire et injuste.

La période de référence pour ces 338h, tout comme pour une première ouverture de droits complète avec 507h ou un renouvellement anticipé, restera augmentée des périodes de restrictions (3 mois de mars à mai en 2020 et 8 mois de novembre 2020 à juin en 2021).

Elle peut donc atteindre 23 mois.

Conséquences : 

Il semble que ces mesures ont au moins le mérite de maintenir tout le monde indemnisé en 2022, mais on entrevoit des effets pervers.

Des revenus en baisse

En refusant la prolongation que nous demandions, jusqu’à un an après la sortie réelle de la crise, le gouvernement acte que les allocations journalières des intermittent.e.s seront calculées sur la base de l’année 2021, ou des 507 dernières heures si moins de 507h en 2021.

On sait déjà que le premier semestre 2021 a été catastrophique en terme d’emploi, et on a beaucoup d’incertitudes sur le second : même dans un scénario très optimiste, trop peu de musicien.ne.s pourront dépasser l’allocation plancher. C’est d’autant plus indigne qu’ils ou elles ont déjà payé un prix fort dans la crise, étant privé·e·s d’une part importante de leurs revenus, que ce soit les salaires, les droits d’auteurs, les droits voisins, les congés spectacles…

Mesures et filets de sécurité sont insuffisants :

  • La clause de rattrapage est une avance : il y aura donc moins de temps pour faire les heures l’année suivante, avec possibilité d’APS… cela reste précaire et instable de manière durable.
  • L’allocation de l’APS déclenchée avec l’allongement des droits serait calculée sur 507h, donc probablement au plancher. Une fois obtenues les 507h « normales » des droits seront automatiquement ouverts en ARE, calculés également sur 507h, et donc à nouveau au plancher… Cela concernera principalement les personnes dont le renouvellement est intervenu peu avant la crise. C’est donc totalement arbitraire et le positionnement de l’ancienne date anniversaire fait ici office de ticket de loto.
  • Double peine pour les nouvelles et nouveaux entrant·e·s : celles et ceux qui ont, de longue lutte, ouvert des droits au début 2021 ne bénéficieront d’aucune mesure d’accompagnement, n’auront qu’un an pour refaire leurs heures, et, faute d’ancienneté n’auront pas la clause de rattrapage : retour à la case RSA !

Attention aux pièges

  • Pour l’instant la recherche de droits au régime général est prioritaire sur la recherche de droits à l’APS : il y a donc risque de basculement pour quelqu’un qui n’aurait pas les 338h sur la période rallongée mais aurait travaillé (par exemple en donnant quelques heures de cours) au moins 610h au régime général sur les 28 derniers mois… avec les difficultés que l’on connaît pour rebasculer au régime intermittent. Nous avons fait remonter ce risque aux ministères qui ont pris note …
  • En APS comme en ARE, les droits sont ouverts pour un an à partir de la fin du dernier contrat de travail. Sans contrat proche du 31/12, cela peut poser problème. Le gouvernement dit vouloir mettre en place une date anniversaire plancher au 1/4/2022 pour contrer cela.

Conclusion

Une prolongation d’un an après la reprise réelle du travail n’aurait engendré quasiment aucun surcoût pour l’UNEDIC puisque le nombre de personnes indemnisées serait resté relativement stable, avec le même niveau d’indemnisation qu’aujourd’hui. Se cantonner à 4 mois de prolongation est donc une réponse politique, avancée pour des raisons d’« équité » (entendre : aligner vers le bas l’ensemble des allocations chômage versées).

On sent de plus la volonté du gouvernement d’orienter les intermittent.e.s vers des aides d’état (APS), les sortant de fait de la solidarité interprofessionnelle, tout en laissant entendre que l’intermittence serait une subvention culturelle…

Nous avons toutes les raisons de continuer de nous battre pour des mesures d’urgence réellement protectrices, justifiées par l’hécatombe qu’a subi notre secteur pendant un an et demi.